Émotions et spectacle dans l’Europe des Lumières
La publication à Paris, en 1747 du premier traité entièrement consacré au jeu dramatique entérine une évolution entamée au début du XVIIIe siècle. Avec la fascination exercée par les effets visuels, les comédiens et comédiennes ne sont plus considérés comme de simples déclamateurs, doubles médiocres de l’orateur : ils sont incités à mobiliser tout leur corps pour donner à voir les passions de leur personnage, parfois par-delà les mots.
La théorie du jeu s’élabore progressivement, à travers des échanges nourris entre les pays européens et à partir d’hybridations avec la peinture, la danse, la sculpture et la musique. En Angleterre et en Italie, ce sont avant tout les professionnels du théâtre qui s’essaient à créer et à légitimer l’art de l’acteur. Au contraire, en France et en Allemagne, les plus grands philosophes, parmi lesquels Voltaire, Diderot, Rousseau, Lessing, Humboldt ou Goethe, s’emparent de la question.
Pour les penseurs des Lumières, le corps en scène constitue un laboratoire sans égal, qui permet de réfléchir aux mécanismes régissant la production et la réception des émotions et, plus largement, de redéfinir en termes esthétiques les relations unissant la nature, l’auteur, l’œuvre d’art et le public. Ces expérimentations sur l’illusion, dont le Paradoxe sur le comédien de Diderot est l’exemple le plus fameux, contribuent à saper les fondements de l’imitation classique. Elles ouvrent la voie à des formes d’expression nouvelles dont se saisiront les romantiques et qui sont à l’origine des théories modernes du spectacle.
Introduction Une triple révolution Le corps laboratoire Histoire du théâtre, histoire des spectacles Un corpus interdisciplinaire et européen
PREMIÈRE PARTIE DE L’ORATEUR À L’ACTEUR
Chapitre 1. La déclamation contestée Un art de la lecture et de la voix Diffusion inégale du modèle français : Premières théories sans postérité – Résistances anglaise et italienne – Réforme allemande Premières critiques : La Foire et le théâtre italien – Aaron Hill
Chapitre 2. Naissance du jeu naturel Nouveaux modèles : Action anglaise – Improvisation italienne – Précurseurs français – Révolution londonienne L’esthétique du tableau : Critiques des conditions scéniques – Du parallèle métaphorique au modèle pratique Premiers traités de jeu
Chapitre 3. Fonder un nouvel art Autonomiser et légitimer le jeu : Du métier à l’art – Intellectualiser la pratique – Pérenniser l’éphémère L’acteur créateur : Théâtralité de la représentation – l’acteur auteur Enseigner le jeu ? : Quel rôle pour les traités ? – Premières écoles
DEUXIÈME PARTIE LE CORPS EN SCÈNE
Chapitre 4. Le jeu muet Éloge de la pantomime : Jouer « de toute sa personne » – Le jeu muet Le flux des passions : La peinture, nouveau modèle ? – Des passions aux émotions – Transitions Vérité et bienséance : Garrick ou le juste milieu – La modération énergique – Les attitudes – L’acteur, modèle du peintre Expérimentations sur l’illusion : La ressemblance et l’esquisse – L’admiration esthétique et la « demi-illusion » |
Chapitre 5. Corps et âme Maîtriser le sentiment par le jugement : Sainte-Albine – John Hill – Michel Sticotti – Diderot L’enthousiasme sublime : Métamorphose – Enthousiasme et intelligence – Dépossession et irrégularité – Garrick et le « feu électrique » Imiter des passions idéales : Imprimer sur l’âme l’idée de la passion (Aaron Hill, Sonnenfels et Mendelssohn) – Du corps à l’âme (Aaron Hill et Lessing) De sang-froid : L’« émotion » théâtrale (Lang, Blondel de Brizé et François Riccoboni) – Une « copie continuelle » (Charpentier) – « Se passionner de sang-froid » (Rousseau) – Imiter « de sang-froid » le « modèle idéal » (Diderot) – Le jeu en trompe-l’œil (Garrick)
TROISIÈME PARTIE UNE RÉVOLUTION ESTHÉTIQUE (1780-1815)
Chapitre 6. Le vrai et l’imagination La belle nature sensualiste : Le beau jeu sensible (Du Fresnel, Rahbek, Murga, Murillo, Zeglirscosac) – Renouveau du modèle oratoire (Sheridan, Cludius, Hérault, Dorfeuille) – Montée en puissance de l’imagination (Tournon, Iffland, Mercier) Le sublime : créer la nature sur scène : L’enthousiasme (Mlle Dumesnil, mémoires apocryphes) – Le circuit électrique du spectacle (Larive) – Jeu sublime versus jeu parfait (Talma) l’imitation (ressemblante) de sang-froid : L’imitation extérieure (Mlle Clairon, Koller, Hunnius) – Sens artistique et imagination (Schröder)
Chapitre 7. Le beau idéal Critique de l’imitation de la nature : « Idéalisme » contre « naturalisme » (Goethe, Tieck, Schiller) – Le beau contre le vrai (Reynolds) – La diction naturelle (Alfieri) – Talma ou la démesure Deux nouveaux modèles : la sculpture et la musique : La fratrie Kemble – L’Allemagne et l’autonomie de l’œuvre d’art
Conclusion De l’imitation à l’expression Un laboratoire pour penser le théâtre moderne
Sources Bibliographie critique sélective |